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Parlons tactique avec Lionel Poisson

Quel est votre schéma tactique préférentiel ? (433? 4231? 352?….quels sont les avantages de votre système )?

 

Recruter des joueurs (ou des joueuses) aux profils spécifiques optimisant votre système de jeu comme cela se fait dans le monde professionnel ou alors choisir une organisation tactique qui correspond aux caractéristiques fortes des éléments de votre groupe, sont deux choix qui se défendent et bien qu’opposés, peuvent raisonnablement performer, surtout dans le cadre d’une bonne cohésion d’équipe.

Dans le fonctionnement du football amateur ou d’une section sportive scolaire football, nous n’avons pas le choix, il s’agit dans un premier temps de se câler sur les qualités physiques et techniques de notre effectif pour bâtir le système de jeu. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit seulement d’une première étape car il faut considérer qu’un bon entraîneur est capable de changer une à deux fois d’organisation tactique par match pour surprendre et dicter le rapport de force. De la même manière, un enseignant en section doit diversifier les connaissances de ses élèves et donc leur faire découvrir une multitude de systèmes. Dans une pédagogie de la découverte, l’apprentissage est plus lent, mais les solutions trouvées et concertées sont stabilisables tandis que le caractère directif qu’un guidage stratégique donne un avantage que le jeune n’est pas forcément apte à comprendre si l’on n’y revient pas dessus de manière explicative après le match. Dans la victoire comme dans la défaite l’analyse technico-tactique est requise pour progresser dans l’efficience, s’améliorer dans la réflexion et surtout ne plus reproduire les mêmes erreurs.

Dans mon travail de responsable football-études j’ai une préférence pour le 3-4-3 pour plusieurs raisons. Primo ce système est une succéssion de triangles de passes nourrissant un jeu de transmissions rapides, très collectif, qui rompt avec l’individualisme naturel des jeunes pré-ados. L’attaquant qui déborde a au moins deux solutions dans la surface de réparation pour la varièté des choix offensifs, le milieu à quatre peut proposer deux pistons, deux six ou un six et un dix, une ligne à quatre en zone pour défendre et pour presser, …, derrière on apprend à défendre en un contre un, à relancer proprement et à gouverner la possession. Enfin le gardien est couvreur de sa défense, garant de la profondeur, tout en proposant un surnombre dans la circulation de la balle. En somme ce système regroupe la plupart des caractéristiques de tous les autres, ce n’est pas pour autant celui à utiliser prioritairement. Il faut avoir les joueurs pour cela. D’ailleurs si mes souvenirs sont bons, avec les Salisiens, nous l’avions utilisé à Metz en 2007 et à Hauteville en 2011 avec succès face à Rennes deux fois mais avec difficulté face au LOSC et à l’OGCNice.

 

Quels sont vos influences pour imaginer vos systèmes ?

Dans le football moderne, il existe un phénomène de mode allant des techniques d’échauffement aux modèles de jeu de possession ou inversement de contre-attaque lors des transitions, avec des critères d’analyse fluctuants. Le jeu de position agrandit l’espace de jeu effectif pour privilégier l’attaque tout en privant l’adversaire du ballon et en créant un surnombre dans un espace à conquérir. Les blocs bas densifient les effectifs sur une bande de terrain privilégiant la protection du but et opèrent une projection rapide vers l’avant à la récupération contrecarrant ainsi la domination adverse et autorisant parfois des surprises “des petits sur les gros”.

Il y a de ça pas longtemps, le nombre de passes réussies augmentait considérablement les chances de victoire, puis ce fut le nombre de kilomètres parcourus par l’équipe, plus récemment c’est le nombre de sprints effectués qui augmentant la mise sous pression de l’adversaire, permettrait de s’imposer en l’empêchant de s’exprimer dans ses bases. Faut-il compter dorénavant le nombre de débordements réussis par l’ailier, les centres de l’extérieur du pied ou encore les enroulés d’un gaucher à droite, d’un droitier à gauche… ? A croire que oui quand on regarde Liverpool, Barcelone ou encore Manchester City avec leurs joueurs-clés.

Le football est en évolution constante, il convient donc d’observer, de tenter, de se tromper, de rebondir et d’essayer d’être créatif ou innovant. Pour ma part en tant qu’ancien attaquant, mes influences sont les coachs des équipes qui marquent beaucoup de buts, dont le jeu offensif est spectaculaire où pour gagner on prend le risque de perdre. La mentalité édoniste des jeunes joueurs actuellement s’apparente à cette idée d’immédiateté pour ne pas zapper. Peu patients, ils ne sont souvent plus prêts à souffrir pour une récompense incertaine, ils souhaitent perpétuellement prendre du plaisir en jouant. Pour cela, on doit leur apprendre le goût de l’effort individuel au sein d’un collectif, l’altruisme en jeu, le dévouement des replacements défensifs et des pressings sur porteur. Pour parvenir à maîtriser, il faut bien être conscient qu’il y a toujours des contraintes sinon ce serait à la portée de tous.

Imaginer un système c’est humblement considérer qu’il faut d’abord s’inspirer des autres. Affirmer des certitudes conduit à l’erreur et avoir trop de convictions n’est pas forcément une bonne chose pour coller avec justesse aux contingences d’une situation singulière. Il vaut mieux semble-t-il montrer des capacités d’adaptation et de régulation immédiates pour exploiter un temps fort ou inversement savoir se protéger lors d’un temps faible. Il est préférable assurément de se montrer à l’écoute, disposé au dialogue, proche des joueurs, pour mieux comprendre, fédérer et agir avec pertinence. Par essence, un système est dynamique, c’est à dire qu’il évolue, il progresse, s’enrichit et qu’il doit offrir des variations lorsque l’adversaire s’y adapte. C’est bien dans ce registre que l’entraîneur peut-être décisif; il a bâti un système mais il doit le faire vivre et évoluer pour aider son équipe à gagner. Il coordonne constamment les énergies et les compétences de ses joueurs.

 

Que pensez vous du retour à 3 derrière avec des pistons, au profit d une défense à plat à 4? Peu de grandes équipes PSG Barcelone Madrid…ne l’utilisent pas au contraire de beaucoup d équipes de milieu de tableau en France, comment expliquer cela selon vous?

 

Les joueurs à la périphérie du jeu sont ceux qui régulièrement font la différence. Le défenseur latéral, poste de repli par le passé, est devenu un poste phare depuis des années pour dédoubler en tant que piston et solutionner grâce au surnombre venu de l’arrière, le contournement de l’adversaire voire le déblocage de la finition devant le but. Actuellement, ce sont les ailiers qui jouent un rôle déterminant dans la création d’occasions de but grâce à leurs dribbles en un contre un, à un contre deux et à leurs passes décisives lors des un contre trois. Les joueurs au coeur du jeu sont de véritables magiciens techniques à qui on ne peut pas prendre le ballon. Les joueurs axiaux lancent la possession ou terminent l’action collective de leur équipe.

On ne peut pas comparer les clubs quart de finalistes de la Ligue des Champions avec ceux du milieu de tableau en France. Les joueurs, n’ayant pas le même talent ni les mêmes potentiels, ne peuvent pas sublimer avec autant d’efficacité un système de jeu. Dans les grands clubs cités, un top joueur à lui seul va faire basculer le match, donc c’est plus régulier de l’emporter. Dans le championnat de Ligue 1, en dehors du PSG, ce sont les équipes joueuses qui s’illustrent grâce à leur dynamisme technique et à leur cohésion dans le jeu. Lorsque la confiance et la réussite sont là, des joueurs peuvent performer, prendre de l’assurance et faire des différences au sein de leur équipe. La difficulté de l’entraîneur est alors que préserver les équilibres pour entretenir cette dynamique née du collectif sans qu’elle patisse de l’émergence de ses individualités.

Les défenses à 3, à 4 ou à 5 sont des systèmes mouvants tous intéressants notamment lors des transitions. Mais ce n’est pas de mon point de vue le plus marquant actuellement. J’ai par exemple observé que City en pressing de récupération joue en 4-2-4 et Barcelone en 2-4-4. En somme ce qui me frappe le plus c’est non pas les schemas de la ligne défensive, mais c’est plutôt les risques pris lors du pressing en proposant une ligne press de quatre joueurs et un bloc haut qui libère dangereusement la profondeur dans son dos.

 

Que pensez-vous de l’utilisation d un faux 9? comme par exemple à Arsenal où un milieu défensif occupe le poste?

 

Ce système ressemble à du futsal où le joueur pivot, fixe la défense, se sacrifie dos au but et sert ses partenaires autour qui marquent. Bien qu’il ait montré des qualités avec Manchester City, l’équipe nationale d’Espagne ou encore Arsenal, ce système avec un faux numéro neuf ne me plait pas. Il vous prive d’un joueur qui marque et qui exploite le jeu aérien en déviation ou dans la surface de réparation face au but. L’Espagne en a changé en mettant Alvaro Morata ou Mikel Oyarzabal en neuf et Olmo en dix. L’exemple le plus frappant est la victoire de Manchester City en Champion’s Ligue qui coîncide avec l’arrivée d’Haaland véritable numéro neuf en pointe. Donc les équipes en reviennent, tandis que d’autres persévèrent avec un neuf comme Barcelone et Lewandowski ou encore Madrid avec Mbappé. L’innovation vient du PSG avec Dembelé buteur mais surtout meilleur presseur.

 

Quel est le poste qui a le plus évolué ces dernières années selon vous?

 

Sans contestation possible c’est le poste de gardien de but qui a commencé avec des entraînements spécifiques de plus en plus nombreux puis de véritables staffs dédiés à ce poste. L’habileté au pied et la maîtrise sous pression sont devenus les critères essentiels du rôle en plus de la taille au plus haut niveau. D’ailleurs en faisant des blocs sur le gardien géant, les équipes parviennent à marquer à nouveau de la tête sur corner. Est-ce à dire que les gardiens de taille moyenne vont être reconsidérés? Je l’espère.

Celui qui était défini comme le dernier rempart est devenu le premier relanceur et l’atout surnombre du jeu de possession, se meut régulièrement en passeur décisif…

 

Pour nos jeunes lecteurs quelle est la principale qualité à developper pour progresser dans notre sport ?

 

La réceptivité. Dans un monde où tout le monde sait tout sur tout avec google et l’IA, il vaut mieux être un curieux, un découvreur, un autodidacte qui observe et qui réfléchit. Construire un libre arbitre, se faire sa propre opinion, aller aux sources des savoirs, développer son sens critique avec recul et objectivité sont des atouts de choix pour qui veut progresser et s’enrichir de compétences dans sa passion.

Dans mon travail d’enseignant j’ai toujours constaté que ce sont ceux qui écoutent le mieux qui s’améliorent le plus vite et de la façon la plus spectaculaire. Ces jeunes intelligents s’inspirent des meilleures choses de leurs coachs succéssifs, expérimentent les conseils, s’en emparent puis les dépassent ou alors les mettent de côté, et se forgent leur propre identité footballistique. Ils avancent avec l’idée de “ne jamais cesser de progresser” et avec la capacité noble de se remettre en question régulièrement sans pour autant perdre confiance.

Pour conclure, face au manque de réceptivité, posons une question qui ramène à l’humilité dans le sport et dans la vie de tous les jours: comment peut-on penser tout connaître du football quand on sait qu’au moment où on raccroche les crampons en tant que joueur ou lorsqu’on transmet le relais-témoin  en tant qu’entraîneur, on a encore tant de choses à découvrir ?

     Alors écoutons, partageons, réinventons-nous constamment…

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